1 h 15 du matin… cette nuit, la lune presque plaine et sa cour d’étoiles offraient au regard des insomniaques un délicat spectacle. Pas un nuage pour voiler la douce lumière argentée prêtant au lycée un visage insoupçonné fait de mystère et de sérénité. Aux abords du lac, nul besoin de lampe pour discerner arbres et buissons, chemins et eau endormi. Pareil à un miroir, le lac offrait le ciel à celui qui s’y pencherait. Il y avait du merveilleux dans ce reflet, du magique dans cette nuit d’hiver.
Un léger froissement de feuilles… un coup d’œil furtif… et voilà que quelque chose s’animait dans la pénombre. C’était une silhouette qui s’avançait sans presque un bruit. Elle était pliée en deux pour échapper à une hypothétique surveillance. Personne ne devait la surprendre, surtout pas ici, surtout pas maintenant.
Une queue en panache, un pelage roux, on devinait l’écureuil. Indifférant à l’air vif, il était vêtu légèrement et n’était même pas chaussé. A peine avait-il enfilé un pull par dessus son pyjama. C’était ça ou prendre le risque de réveiller son collègue de chambre. Tant de précautions mais pourquoi ? La nuit, heure du crime on pourrait se dire. Cette pensée ne semblait que plus plausible en prenant considération de l’identité du protagoniste. Vincent Noisetier alias Nitro, petite terreur du lycée, perturbateur perturbé qui se plaisait à déplaire. On ne comptait déjà plus les coups fourbes du rongeur belliqueux. Néanmoins, ici, seul, que pouvait-il bien faire pour nuire ?
Rien. Pas d’idée malveillante en tête, pas de désir malsain pour guide. S’il avait quitté l’internat par la fenêtre et gagné le lac par un chemin détourné, ce n’était pas pour le malheur des autres. C’était un besoin viscéral d’évasion qui allait le pousser cette nuit à commettre un acte susceptible de mettre à mal sa réputation de gros dur insensible. Depuis son arrivé dans l’établissement scolaire, jamais encore il ne s’était adonné à sa passion secrète, jamais encore il n’avait prit le risque de se dévoiler, mais il avait préparé cet instant, le sachant inévitable. Le lac, il l’avait choisit pour son isolement après l’avoir visité ; le chemin détourné, il l’avait planifié ; la façon d’entrer et de sortir de l’internat, il l’avait préparé…. Il n’avait rien laissé au hasard ou tout du moins, il l’espérait. Cette nuit, ne pouvant attendre d’avantage, il mettait donc pour la première fois son plan à exécution.
Une énième fois, il balaya les environs du regard et s’accroupi au bord du lac. Il observa le reflet de la lune puis son propre reflet. Il découvrit alors un écureuil tenaillé par la peur. Sa détermination flanchait mais renoncer n’était plus une option. Il mit un doigt dans l’eau et le souleva. Unes à unes des goutes en tombèrent. Il s’amusa à les admirer retourner au lac. Il s’amusa à entendre leur petit bruit léger de plus en plus espacé. Quand plus aucune goute ne tomba, il dressa l’oreille une ultime fois. Il était seul. Tout était calme. Alors, de sous son pull, il sortit sa flute. Il s’assit plus confortablement et caressa d’un geste fébrile l’instrument en bois. Il eut un long soupire et mit ses doigts en place. Lentement, il approcha le bec de sa bouche. On aurait dit qu’il menait à bien un rituel.
La première note s’éleva, timide. Le silence retomba ensuite avant que la deuxième note ne se décide à sortir, plus affirmée. Enfin, la mélodie se fit entendre, légère, joyeuse. Des années d’expériences s’exprimaient désormais sans retenu. Nitro avait fermé les yeux. Ses oreilles n’entendaient plus que le son enchanteur. Le monde n’existait plus car l’hybride était tout entier absorbé par sa musique. Ce n’était que pendant de pareil instant qu’il vivait réellement. Nitro n’était plus, seul restait Vincent.
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